À l’approche des élections municipales, les projets d’aménagement urbain occupent une place centrale dans le débat public, tant ils engagent durablement le cadre de vie, les finances locales et l’organisation de la ville. Le programme présenté par Stéphan Fiori, candidat sans étiquette, se distingue par une série de propositions structurantes autour de la mobilité, de la requalification des espaces publics et de la réduction des nuisances liées à la circulation automobile.
Ces projets n’ont pas été élaborés de manière isolée par le candidat. Ils s’inscrivent dans une démarche collective et ont été pensés avec l’appui de profils techniques, notamment Malika Guin, ingénieure urbaniste, présentée comme chef de projet de cette réflexion. Ancienne directrice du service de l’urbanisme réglementaire de la mairie d’Avignon puis du Grand Avignon, elle apporte une expertise reconnue des procédures, des contraintes réglementaires et des enjeux d’aménagement du territoire.
Tunnel au carrefour Pierre Sémard, enterrement de la rocade, passages souterrains piétons, passerelle aux allées de l’Oulle : ces projets dessinent une vision urbaine ambitieuse, largement appuyée sur des infrastructures lourdes. Mais au-delà de la méthode et des compétences mobilisées, se posent des questions essentielles de faisabilité technique, de soutenabilité financière, d’acceptabilité sociale et de gouvernance politique.
C’est à l’aune de ces critères, et au regard de l’histoire locale des grands projets d’infrastructures, que ce dossier propose une analyse critique et documentée des investissements avancés.

Création d’un tunnel–giratoire au carrefour Rocade / route de Marseille / avenue Pierre Sémard
Dans son programme, Stéphan Fiori propose la création d’un tunnel routier, accessible à tous les véhicules y compris les poids lourds, complété par un rond-point de surface, afin de fluidifier la circulation au carrefour de la rocade, de la route de Marseille et de l’avenue Pierre Sémard.
L’objectif affiché est multiple : suppression des feux tricolores, amélioration de la fluidité entre les axes, réduction de l’accidentologie et baisse des nuisances sonores et de la pollution, au motif qu’un trafic continu génère moins d’émissions qu’un trafic à l’arrêt. Le projet ambitionne également d’améliorer le cadre de vie des quelque 20 000 riverains vivant à proximité immédiate de cet axe stratégique, emprunté chaque jour par environ 40 000 véhicules.
Sur le plan technique, toutefois, un tunnel urbain ouvert aux poids lourds implique des contraintes lourdes : gabarits importants, rampes longues, ventilation mécanique, dispositifs de sécurité incendie, supervision et maintenance permanente. Ces exigences placent généralement ce type d’ouvrage dans une fourchette de coût comprise entre 40 et 50 millions d’euros dans un scénario réaliste, loin des 20 millions d’euros annoncés dans le programme.
Le financement croisé évoqué, État, Région, Département et Ville à hauteur de 20 %, repose par ailleurs sur des subventions incertaines, longues à mobiliser et conditionnées à des études complexes, sans garantie de calendrier ni de couverture intégrale du surcoût éventuel. Enfin, la phase de travaux, qui s’étalerait sur plusieurs années, entraînerait une réduction significative de la capacité de circulation sur la rocade, avec des reports massifs de trafic vers les quartiers résidentiels, une aggravation temporaire des nuisances et une saturation durable du réseau.
Si l’intention de fluidifier et de sécuriser ce carrefour est légitime, le projet tel que présenté apparaît aujourd’hui sous-évalué financièrement, très optimiste techniquement, et porteur d’un risque élevé de décalage entre la promesse électorale et la réalité vécue par les habitants.
Enterrement de la rocade et création d’une esplanade urbaine
Dans une vision projetée à l’horizon 2035, Stéphan Fiori propose d’engager des études de faisabilité en vue de l’enterrement de l’ensemble de la rocade d’Avignon sur un linéaire d’environ 2,5 kilomètres, entre les carrefours Pierre Sémard / route de Marseille et Saint-Ruf / route de Tarascon. Présenté comme une transformation majeure du cadre de vie, le projet ambitionne de faire disparaître en surface un axe supportant environ 40 000 véhicules par jour, dont 1 500 poids lourds, pour créer une vaste esplanade végétalisée dédiée aux habitants, tout en maintenant le tramway en surface.
Si le candidat insiste sur le caractère prospectif de cette démarche et sur l’absence de lancement de travaux durant le mandat, la nature même des études envisagées engage déjà la collectivité dans une trajectoire lourde, tant sur le plan financier que politique.
Sur le plan technique, l’enterrement d’un axe routier de cette longueur en milieu urbain dense se heurte à une contrainte structurante : la présence massive des réseaux existants (eau potable, assainissement, électricité, gaz, télécommunications, fibre optique), généralement implantés le long de la rocade et à ses carrefours. Leur dévoiement, leur protection ou leur reconstruction constituent souvent l’une des phases les plus longues, les plus coûteuses et les plus perturbantes de ce type de chantier, avec des impacts directs sur les quartiers riverains. À cela s’ajoutent les exigences d’un tunnel urbain à fort trafic, sécurité incendie, ventilation, gestion des eaux, exploitation permanente, qui rapprochent ce projet des grands tunnels routiers français.
À titre de référence, le tunnel de Toulon, long d’environ 3,3 km, a mobilisé un investissement proche de 350 à 400 millions d’euros, donnant un ordre de grandeur réaliste pour ce type d’infrastructure. Rapporté au linéaire avignonnais, le montant de 300 millions d’euros évoqué apparaît théoriquement cohérent, mais repose sur des hypothèses techniques favorables, des financements extérieurs massifs et une capacité institutionnelle forte pour mobiliser le Grand Avignon, le Département, la Région et l’État. À ces incertitudes s’ajoute une contrainte majeure souvent sous-estimée : un chantier de cette nature s’inscrirait dans un horizon de 10 à 15 ans, avec des phases successives de déviations, de restrictions de circulation et de nuisances durables sur l’un des axes les plus fréquentés de l’agglomération.
L’exemple de la Liaison Est-Ouest (LEO), marquée par plus de vingt ans de blocages politiques et institutionnels, rappelle combien la réalisation de grands projets d’infrastructures reste incertaine à l’échelle locale. Au-delà de la force de la vision urbaine, ce projet interroge donc la crédibilité politique, technique et financière nécessaire pour mener à bien une transformation aussi lourde du quotidien des Avignonnaises et des Avignonnais.

Passages souterrains piétons
Parmi les projets d’investissement urbain présentés par Stéphan Fiori figure également la création de deux passages souterrains piétons distincts, à la porte Limbert et à proximité de la porte Saint-Lazare, à l’entrée de l’Université d’Avignon, afin de sécuriser les traversées sans interrompre la circulation automobile. Annoncés à 8 millions d’euros, avec un financement croisé associant le Grand Avignon, l’opérateur de transports et la Ville à hauteur de 40 %, ces ouvrages sont chiffrés dans une fourchette haute mais cohérente pour ce type d’aménagement, traduisant un niveau d’équipement ambitieux (accessibilité PMR, éclairage renforcé, vidéoprotection, animation des espaces). Ce chiffrage n’apparaît donc pas sous-évalué.
En revanche, le projet soulève plusieurs questions de fond. Sur le plan technique, la réalisation de ces passages en milieu urbain dense implique des interventions complexes sur les réseaux existants (eau, assainissement, électricité, télécoms), ainsi que des contraintes durables d’entretien et d’exploitation. Sur le plan social, malgré les dispositifs de sécurité annoncés, les passages souterrains souffrent fréquemment d’un déficit d’appropriation et d’un sentiment d’insécurité pour certains usagers, notamment en dehors des heures de forte fréquentation. Enfin, ce choix traduit une orientation urbaine assumée : préserver la fluidité automobile en surface en reléguant les piétons en sous-sol, là où d’autres collectivités privilégient désormais des traversées de surface apaisées, souvent jugées plus inclusives et mieux acceptées par les habitants.

Création d’une passerelle piétonne et cyclable aux allées de l’Oulle
Dernier projet d’investissement urbain d’envergure présenté par Stéphan Fiori, la création d’une passerelle aux allées de l’Oulle vise à permettre aux croisiéristes, cyclistes, personnes à mobilité réduite et touristes arrivant de la gare TGV de franchir cet axe très circulé sans interrompre le flux automobile, avant de rejoindre un passage souterrain menant au cœur de ville. Sur le plan technique, un tel ouvrage impose des contraintes élevées : portées importantes au-dessus d’un axe routier majeur, respect des gabarits de sécurité, accessibilité PMR par rampes longues ou ascenseurs, intégration paysagère dans un site sensible en bord de Rhône et continuité avec les cheminements existants. Ces exigences expliquent en partie le coût annoncé de 14 millions d’euros, qui se situe dans une fourchette haute mais crédible pour une passerelle urbaine architecturée.
Sur le plan social, l’objectif d’améliorer la lisibilité des parcours et la sécurité des piétons et cyclistes est pertinent, notamment pour les publics touristiques et occasionnels. Toutefois, comme pour les passages souterrains, le choix d’un franchissement hors-sol interroge : il maintient la priorité automobile en surface et impose aux piétons des cheminements plus longs, parfois perçus comme contraignants au quotidien. Enfin, politiquement, ce projet illustre une constante du programme : des aménagements ambitieux, coûteux et techniquement complexes, dont la réalisation dépendra largement de financements extérieurs et d’une forte coordination institutionnelle. À l’échelle d’Avignon, l’accumulation de ces investissements pose la question de leur hiérarchisation, de leur soutenabilité financière et de la capacité réelle de la collectivité à les porter sans fragiliser d’autres priorités urbaines.
L’équation politique au cœur du projet
L’analyse des grands projets urbains portés par Stéphan Fiori et son équipe montre qu’ils ne sont ni irréalistes ni techniquement infaisables. Pris individuellement, ces projets répondent à de vrais problèmes de circulation, de nuisances et de qualité de vie. Les solutions proposées existent ailleurs et sont connues des collectivités. Mais leur accumulation dessine un programme d’investissement hors norme pour une ville comme Avignon, avec plusieurs centaines de millions d’euros engagés et des chantiers étalés sur dix à quinze ans.
Au-delà des contraintes techniques et financières, un autre facteur apparaît déterminant : la capacité politique à porter ces projets dans la durée. Stéphan Fiori est un candidat sans étiquette, sans parti politique structuré et sans réseau institutionnel identifié à l’échelle régionale ou nationale. Or, ce type de grands projets d’infrastructures ne se décide ni ne se finance seul. Ils nécessitent en priorité des soutiens solides au sein du Grand Avignon, mais aussi du Département, de la Région et de l’État. Dans ce type d’opérations, les relais politiques, les alliances et les « amitiés » institutionnelles jouent souvent un rôle décisif dans l’obtention des financements, l’arbitrage des priorités et la tenue des calendriers.
Dans un contexte budgétaire contraint et au regard des précédents locaux, comme l’échec prolongé de la Liaison Est-Ouest, la question centrale dépasse donc la seule vision urbaine. Elle porte sur la capacité réelle à fédérer durablement les acteurs publics autour d’un projet aussi lourd, et à en assumer le coût social pour les habitants pendant de nombreuses années.
Plus qu’un débat sur l’intention, c’est bien un débat sur la crédibilité politique, la hiérarchisation des priorités publiques et la soutenabilité sociale qui s’ouvre désormais aux électeurs.
Jamil Zéribi
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