Le sondage Ifop publié récemment par La Provence concernant les élections municipales à Avignon ne livre pas un verdict électoral, mais il éclaire une réalité politique désormais centrale à Avignon. Cette municipale ne se jouera pas sur l’enthousiasme, mais sur la capacité des candidats à échapper au rejet. Dans une ville marquée par la fin d’un cycle municipal, les dynamiques du second tour se dessinent déjà, bien avant que les rapports de force du premier ne soient figés.
Cécile Helle ne fait plus gagner
S’il se présente seul, Joël Peyre est évalué à 5% dans ce sondage. Il est d’ailleurs frappant de constater que Joël Peyre est sondé à un niveau aussi bas. Ce score ne reflète ni sa notoriété locale, ni sa réputation, ni son expérience politique acquise au fil des années. Ce décalage interroge sur la capacité du bilan sortant à constituer aujourd’hui un levier électoral.
Un premier enseignement s’impose. Celui qui semblait, dans l’opinion, bénéficier d’un possible soutien de Cécile Helle n’en tire aucun bénéfice visible. Bien que la maire sortante ne se soit jamais officiellement exprimée, Joël Peyre apparaît associé à un bilan municipal largement contesté. Il est d’ailleurs sans doute le seul, à gauche, à revendiquer aussi frontalement et avec constance l’héritage de Cécile Helle. Ce choix politique, assumé, clarifie son positionnement mais enferme sa candidature dans une logique de continuité revendiquée. Dans le contexte actuel, cette proximité agit moins comme un levier que comme un rappel permanent d’un cycle que beaucoup d’Avignonnais souhaitent voir s’achever.
L’héritage de la majorité sortante ne mobilise plus. Il expose.
Le RN, sous-estimé au premier tour ?
À 22%, le Rassemblement national apparaît sans doute un peu bas dans ce sondage. Plusieurs éléments invitent à relativiser ce chiffre. Dès le mois de septembre, un sondage commandé par LR à l’initiative de Julien Aubert faisait état d’un RN crédité d’environ 29% à Avignon, signe d’un potentiel électoral bien supérieur à celui mesuré aujourd’hui. Depuis, le contexte national comme local n’a cessé de nourrir les thématiques favorables au RN. L’insécurité, la question du narcotrafic, la violence du quotidien et le sentiment de perte de contrôle de l’État sont devenus des sujets centraux du débat public.
À Avignon, ces préoccupations trouvent un écho particulier et structurent une partie croissante du vote protestataire. Dans ce contexte, le RN dispose d’un électorat discipliné, peu sensible aux campagnes adverses et capable de se mobiliser fortement le jour du scrutin. Si son socle reste difficile à élargir au second tour, son niveau réel au premier pourrait être sensiblement supérieur à celui mesuré aujourd’hui, faisant du RN non seulement un acteur central du scrutin, mais aussi un élément de pression déterminant sur toutes les stratégies de second tour.
Galzi, une notoriété qui rassure
À droite, à 21%, Olivier Galzi est désormais le seul à incarner une alternative structurée depuis le retrait de Julien Aubert. Ce niveau, dans un sondage public, va mécaniquement le placer en dynamique et accélérer les clarifications politiques. Il est désormais très probable que Renaissance comme Les Républicains se rangent rapidement derrière lui, afin d’éviter toute dispersion et de sécuriser une présence forte au second tour. Sa dynamique de victoire dépendra toutefois de sa capacité à rester solidement ancrée au centre-droit.
Mais au-delà de son projet, un facteur joue fortement en sa faveur : sa notoriété. Sa carrière dans les médias lui confère une reconnaissance immédiate qui dépasse largement le contenu programmatique. Cette visibilité rassure un électorat plus âgé, attaché aux figures connues, aux codes institutionnels et à une certaine stabilité des visages politiques. Dans une élection marquée par l’incertitude et le rejet des sortants, cette familiarité peut peser lourd. À condition toutefois que Galzi ne se droitise pas excessivement. S’il parvient à conjuguer notoriété, modération et crédibilité municipale, il peut apparaître comme une alternance maîtrisée plutôt que comme une rupture brutale.
Il ne gagnera pas en clivant, mais en rassurant.
Une gauche majoritaire mais fragile
Dans ce sondage, l’ensemble des voix de gauche représente 45%. Quelles que soient les divisions du premier tour, un réflexe s’imposera. La gauche issue de la majorité municipale obtient 33%, elle se rassemblera au second tour autour de celui qui arrivera en tête parmi elle. Fournier ou un autre. Non par enthousiasme, mais par responsabilité politique. Elle ne prendra pas le risque de laisser gagner ni le Rassemblement national, ni la droite de Galzi.
Ce rassemblement interne est quasi certain. Mais il porte une faiblesse structurelle. En se présentant comme un bloc de continuité assumée, le candidat bénéficiera d’une cohésion interne forte de ses électeurs fidèles, tout en réduisant sa capacité à convaincre au-delà de son camp. Il rassurera les siens, sans séduire les autres. Or, à Avignon et ailleurs, le second tour ne se gagne pas avec la seule discipline partisane, mais avec l’élargissement.
Le match à gauche entre LFI et les sortants
Le scénario possible reste celui d’une France insoumise très haute au premier tour devant les autres forces de gauche, portée par une mobilisation militante intense, tandis que la gauche des sortants demeure fragmentée. Mathilde Louvain, sondée à 14%, pourrait alors se retrouver en position centrale en mars prochain. L’équation à gauche se résumerait alors à une question aussi simple que redoutable : qui acceptera de s’effacer pour éviter une défaite collective ?
Si la France insoumise arrive en tête à gauche au premier tour, la gauche sortante prendra-t-elle le risque de se maintenir au second tour au nom de son identité, quitte à fragmenter le camp progressiste et à favoriser une victoire du RN ou d’Olivier Galzi ? À l’inverse, si la gauche sortante arrive en tête, LFI acceptera-t-elle de se retirer, ou choisira-t-elle de se maintenir au nom de sa radicalité politique et de son conflit avec le PS, au risque là aussi de provoquer une défaite de la gauche dans son ensemble ?
Le dilemme est d’autant plus explosif que la France insoumise se présente comme un rempart face à l’extrême droite. Voir un scénario où une candidature soutenue par Raphaël Arnault, figure revendiquée de l’antifascisme, contribuerait indirectement à une victoire du RN serait politiquement cocasse, voire contradictoire avec le discours porté nationalement. Ce face-à-face à gauche ne relève donc pas seulement d’un rapport de force électoral, mais d’un choix stratégique et moral, qui pèsera lourdement sur l’issue du second tour.
Fiori, un score important pour une première
Dans ce paysage en recomposition, Stéphan Fiori incarne une autre voie. Son score de 10% démontre que sa dynamique est réelle, visible et crédible. Sa capacité à mobiliser très tôt, sans parti ni appareil, montre qu’il existe à Avignon un espace pour une alternative locale, incarnée, dégagée des logiques traditionnelles des partis. Fiori parle à des électeurs qui ne votent pas par discipline partisane, mais par adhésion à sa personne car il est très apprécié. Dans une ville marquée par la lassitude politique, cette posture trouve un écho certain.
Fiori est un peu l’ovni de cette campagne. Son résultat final du premier tour est difficilement prévisible. Il peut continuer à monter d’ici mars 2026, imposer son rythme et peser grandement sur l’issue du scrutin. Mais pour transformer cette dynamique en victoire, il devra faire un travail de terrain colossal pour rattraper son retard ainsi que son manque de notoriété. Il devra également se situer plutôt au centre gauche, s’il veut envisager un report des voix de gauche sur sa personne au second tour. Dans le cas où il parvient et décide de se maintenir au second tour.
Conclusion : une incertitude totale
À ce stade, aucun scénario ne s’impose comme une évidence. Les rapports de force sont instables, les stratégies encore mouvantes et les choix de second tour loin d’être tranchés. Avignon s’avance vers une municipale où les équilibres traditionnels sont fragilisés, où les réflexes d’appareil ne garantissent plus la victoire et où chaque décision prise entre les deux tours pourra faire basculer l’élection.
Cette incertitude est d’autant plus forte que le sondage de La Provence révèle que 45% des électeurs sondés se déclarent encore indécis, laissant ouverte la possibilité de basculements majeurs d’ici le premier tour.
Plus qu’un scrutin de confirmation, 2026 s’annonce comme une élection de risque, d’arbitrage et d’incertitude totale.
Jamil Zéribi

