Reine Jeanne : Quand Paris Match choisit le poids des mots et le choc des photos

Akim Rahmouni« C’est un chaos d’immeubles gris et mornes… ». Ainsi commence l’article intitulé « Reine-Jeanne, la cité des salafistes » écrit par Djaffer Ait Aouida et publié dans le Paris Match du 18 janvier 2016.

D’emblée le décor est planté : pas de place laissée pour la couleur, pas d’espace réservé pour l’harmonie, non !

Pour l’islam, c’est le chaos qui est convoqué. Pour l’islam, c’est la grisaille qui reste la seule nuance chromatique possible. Avec le doigt inquisiteur de l’imam pour illustration principale, vous avez là ce que le journalisme d’investigation fait de mieux sur le sujet sociétal le plus sensible du moment !

Le sensationnel et l’irrationnel pouvant garantir alors un succès de kiosque, les profits seront arrachés aux dépends de la mesure et de la vérité.

Dans cette description si peu avantageuse de la « Reine » (comme ici nous, Avignonnais, avons coutume d’appeler le quartier), rien ailleurs dans l’article ne viendra ensuite en atténuer sa laideur et tout le malheur qui l’assiège…

Tout au contraire, au fil des mots, c’est une véritable descente aux enfers qui vous mène tout d’abord à croiser ces jeunes sans foi ni loi qui n’ont comme habitude que de faire crier les moteurs de leurs « voitures rutilantes, avant de réintégrer leurs immeubles lépreux ».

Et à l’instar de l’enfer de Dante, vous vous enfoncez dans les tréfonds du purgatoire et de là des damnés accoutrés de voiles noires et de pantalons à la mode afghane errent à tout jamais, suppliciés et punis pour leurs croyances et leurs dévotions… Le courroux journalistique reste terrible quand s’abattent sur leurs épaules tout le poids des mots et tout le choc des photos !

Tremblez chères lectrices, tremblez chers lecteurs, voici le sort funeste réservé à ces territoires qui ont laissé s’installer mosquées et leurs fidèles.

Nous, Avignonnais de naissance et d’adoption, avons pour le moins été surpris par le contenu de cet article.

Celles et ceux qui connaissent cette ville savent que le trait a été forcé. Celles et ceux qui ont un lien avec les musulmanes et les musulmans d’Avignon savent que c’est l’exagération qui a supplanté la pondération.

Une superposition de descriptions à fortes densités antagonistes : des propriétaires de voitures de luxe habitant des taudis, un journaliste algérien réfugié, un imam marocain, un islamiste « pur et dur (…) arborant une barbe folle jusqu’à mi-poitrail », les canons de la mode afghane pour références en matière de goûts vestimentaires et le wahhabisme pour nourriture spirituelle !

Là vraiment la ficelle est bien trop grosse…

Ce qui est grave dans cette histoire, c’est toute l’huile qui s’ajoute à celle qui est régulièrement déversée sur le brasier de nos angoisses nourri de ce que les contextes national et international donnent à déplorer.

Ce qui est gênant, c’est ici la contribution de la presse à entretenir ses flammes quand il serait salutaire de démonter les mécanismes de la peur par le simple respect de la vérité et la restitution sans distorsion de notre réalité :

« J’ai déjà travaillé sur le sujet et tout le monde peut faire le constat de l’ascension de l’islamisme. Il suffit de sortir des remparts et de se promener le vendredi matin sur le marché de Monclar où 90% des femmes sont voilées, et 60% des hommes barbus et habillés à l’afghane ». C’est ce qu’a déclaré Djaffer Ait Aouida dans les colonnes de la presse quotidienne régionale.

Seules 10% des femmes qui flânent au marché de Monclar auraient donc les contours de citoyennes éloignées de la radicalité et du fanatisme religieux. Absurde et faux ! Nous savons que la majorité des Françaises de confession musulmane vivent sans remettre en cause le pacte républicain.

Ces femmes voilées qui font leur marché, qui étudient, qui élèvent leurs enfants, qui aspirent à la quiétude ne seraient pas mécontentes que ces projecteurs qui les éblouissent puissent être enfin tournés sur ce que leur quotidien conserve de difficile à gérer : l’insécurité, la précarité et la cohorte des discriminations.

Affirmer que la proportion de barbus s’élève à 60% ne relève d’aucune étude, ni statistique mais ajouter que ces 60% de barbus ont une attirance prononcée pour les habits de feu Ahmed Chah Massoud, alias le commandant Massoud, alias le lion du Pandjshir, voilà délivrée l’« Information » !

Quand on sait que grand nombre de musulmans sont originaires du Maghreb, il y aurait alors à lorgner sur les conséquences de la tectonique de plaques pour que Kaboul ait pu élire domicile aux côtés de Tunis, Alger ou Rabat et pour que le musulman français de base soit aussi maladroitement comparé.

Il n’y a pas de dérive des continents mais bien celle d’une pratique journalistique qui a osé, qui a transgressé mais qui s’est malheureusement ici dévoyée.

Regrettable quand par ces temps si troublés c’est de cette superficialité que se nourrissent les plus dangereux raccourcis capables de fissurer irrémédiablement une cohésion nationale déjà bien fragilisée !

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